DANDY (MYTHE DU)

DANDY (MYTHE DU)
DANDY (MYTHE DU)

Balzac, dans le Traité de la vie élégante , forge et utilise des néologismes. L’élégantologie, la modilogie, la vestignomie ont pour but la création et la nomination de nouveaux secteurs d’étude de la vie en société. Ces nouvelles appellations recouvrent le souhait balzacien d’arriver à décrire cette association tacite dont les membres éminents sont les dandys. Les dandylogues, nouveaux savants s’intéressant à ce groupe social que forment les dandys, ont fort à faire. Ceux-ci sont-ils de tous temps? S’agit-il du comportement social de certains hommes, anglais puis français, du XIXe siècle? Être dandy, est-ce une manière d’être, historiquement datée, ou bien, traversant les siècles, le modèle du dandy est-il intemporel? Le dandysme est-il un concept stable ou bien un ensemble d’attitudes et de comportements répondant – en s’y opposant ostentatoirement et symboliquement – aux règles de la bienséance et de la vie en société?

Les dandys se cherchent des généalogies mythiques; les grands ancêtres sont toujours cités, par Brummell, par les théoriciens français du dandysme – Balzac, Barbey d’Aurevilly, Baudelaire –, par Ernest Seillière, Eugène Sue, Huysmans, Giraudoux, Paul Morand, Valery Larbaud et Jean d’Ormesson. Avant tout, le dandysme est une doctrine de l’apparence et une éthique de l’inversion contrôlée des signes de la présence et de la présentation; c’est également une esthétique du regard et une pratique magique de captation. Cette doctrine, cette éthique et cette esthétique sont historiquement datées. La référence aux ancêtres n’est présente qu’apologétiquement dans les écrits dandys des dandys: l’histoire de la queue coupée du plus beau et du plus précieux des chiens d’Alcibiade, les anecdotes émaillant la vie et la mort de Pétrone, la relation littéraire de la stratégie d’obtention du désir de la Grande Mademoiselle par Lauzun ne sont réécrites que pour donner ses lettres de noblesse – et pour le pérenniser – au comportement des macaronies , des corinthiens, des lions – ces corsaires à gants jaunes –, des fashionables , des dandys de la fin du XVIIIe siècle en Angleterre, du XIXe siècle sur le continent.

Déjà, les auteurs du début du XXe siècle deviennent plus futiles, plus distraits, refusant l’angoisse et la lourdeur qui se dégageaient du drame romantique, mettant au premier plan la frivolité beaucoup plus que la «froideur un peu satanique» du dandysme baudelairien. Les considérations éthiques ne sont plus ni le support ni la rationalisation d’une esthétique de la différence mesurée; la frivolité «diaphane» – pour utiliser un mot à la mode en 1900 –, les propos sans gravité, la légèreté, en un mot, ne représentent plus cette tension de la conscience et de l’extrême contrôle de la représentation mondaine et théâtrale qui pouvait être élaborée comme règle de vie. De l’excentricité des couleurs vestimentaires et des gestes de la vie quotidienne au diaphane des sentiments et des manières: voilà l’espace historique dans lequel le dandysme vit et s’étiole. D’autres formes de la différence apparaîtront après la Première Guerre mondiale, mais on ne peut les appeler «dandysmes» sans étendre à l’infini le sens d’un terme historiquement délimité.

Les comportements sociaux du dandy

«Étonner l’olympienne poire.» En toutes circonstances, le dandy doit étonner ceux qui le regardent. Cette phrase à l’emporte-pièce de Baudelaire, par sa brutalité même, explique les mécanismes par lesquels le dandysme peut se définir. L’univers des valeurs du dandy est strictement hiérarchisé; l’indifférence à ce qui n’est pas lui (le narcissisme) n’est qu’une des pratiques les plus ostentatoires permettant de construire le système des relations à autrui, dont les rôles sont dissymétriques: le dandy est le créateur de goût, marquant par son comportement la subtilité des riens qui essentialisent la différence d’avec le snob – qui l’imite – et d’avec ceux qui forment une galerie admirable ou critique, relégués dans l’univers utilitaire de la bourgeoisie. «Le haut-fashionable doit toujours chercher à éblouir le bourgeois, il doit avoir un mépris de bon ton avec ses égaux et ses inférieurs», écrivait un chroniqueur de l’époque. Et De Marsay, conversant avec Paul de Manerville, explique: «Crois-tu que ce n’est rien que d’avoir le droit d’arriver dans un salon, d’y regarder tout le monde du haut de sa cravate ou à travers son lorgnon et de pouvoir mépriser l’homme le plus supérieur s’il porte un gilet arriéré» (Balzac). La vie quotidienne du dandy est soumise à deux types de règles complémentaires: le charme et la différence; l’enchantement d’autrui et les manifestations – par le vêtement, le comportement, la conversation – de la distinction. Le dandy est le maître d’œuvre d’un système absolu se manifestant par de petits riens aussi bien que par l’excentricité la plus voyante, le but à atteindre étant toujours la reconnaissance par autrui de la différence. «Aspirer au sublime», c’est montrer et imposer la différence comme devant être essentielle. C’est découper de façon manichéenne l’univers social en deux parties: les dandys, et les autres. Le seul rapport entre ces deux secteurs essentiellement différents étant l’enchantement. Afin de fasciner, il faut déconcerter et, pour arriver à ce but ultime que serait l’acceptation par autrui de toutes les actions – les plus anodines comme les plus folles – du dandy, il est nécessaire de marquer, à chaque instant de la vie quotidienne, la distance par la différence. Le dandy, polémologue de la mondanité, prend autrui à contre-pied, à contre-jugement. C’est pourquoi le début de la carrière d’un dandy est à ce point important! Tout l’art de plaire se constitue à partir des meilleures manières de déplaire sans être rejeté des salons, du monde ni, donc, du lot des spectateurs potentiels. Jean d’Ormesson présente ainsi le paradoxe de cet équilibre dans le déséquilibre, de ce jeu dont les règles doivent être à la fois d’une stabilité à toute épreuve et toujours remises en cause par des actes symboliques ou rituels. Alcibiade coupe la queue du plus beau de ses chiens: la prise à contre-pied du jugement n’a d’intérêt que si l’on connaît la situation d’Alcibiade dans la hiérarchie des pratiques de distinction. Le vulgaire aspire à posséder de beaux chiens, l’homme riche prétendant à l’élégance achète de beaux chiens et se pavane; le dandy, au troisième degré d’une tactique de l’insolite et de la reconnaissance de l’insolite comme suprême élégance, coupe la queue du chien, se démarquant ainsi des normes du désir et de la satisfaction. Il doit toujours remettre en question le fondement social de sa propre reconnaissance comme dandy: il est équilibriste, calculant à chaque pas ce qui le différenciera de ceux qui, en foule, l’imitent. Le snob en ce cas est son meilleur ami; il est l’écho affaibli du dandy orchestrant sa gloire, mais il est aussi son pire ennemi puisqu’il l’imite en tout, poussant le dandy dans la course en avant de l’innovation des riens qui singularisent.

Le dandy est donc auteur et acteur. Acteur de sa propre pièce, la mise en scène de sa vie quotidienne lui importe au plus haut point, car il doit à chaque instant emporter la conviction d’autrui. Le dandy, démiurge des presque-rien, est théâtre, acteur, auteur, habilleuse et maquilleuse: il est l’homme du spectacle renouvelé, toujours «occupé à façonner le galbe parfait de son moi». Le solitaire de parade doit, comme règle de vie, pratiquer le modèle du geste, la perfection de la parole, l’excellence dans le cousu comme dans le décousu. Le dandy, en rhétorique comme en scénographie, est l’habile couturier sachant masquer méthodiquement, par des «effets somptueux», la monotonie de ses rituels de domestication de l’apparence.

Cet acteur joue, dans les limites de règles acceptées, avec les marges de la conformité à l’usage. Il est celui qui, à chaque occasion sociale, s’essaie, en toute conscience, aux multiples variations comportementales. Il règle, par sa connaissance du dérèglement, des pratiques cultivées reconnues comme étant acceptées et valorisées dans le jeu des relations sociales. L’affectation de la qualité de la vie mondaine fait que le dandy, par la mise en scène de sa présence, possède une «grâce divine et concomitante» (Balzac) qui a pour but de qualifier la distinction en disqualifiant les admirateurs de la distinction.

Sans que l’on puisse faire la sociologie d’un type très particulier de mobilité sociale, l’observation de l’hérédité sociale des dandys montre qu’ils proviennent généralement de la bourgeoisie montante: ils ne font pas partie de la noblesse, mais adhèrent aux valeurs et aux usages de l’aristocratie sans pouvoir magnifier leur arbre généalogique. La distinction traditionnelle que la naissance procurait n’est plus nécessaire à l’élégant. Brummell n’est pas un aristocrate; Nestor Roqueplan, célèbre pour son élégance et pour la manière d’accentuer l’inclinaison de son chapeau sur l’oreille, est le fils d’un instituteur de l’Aude; Eugène Sue, qui réussira une ascension foudroyante dans le monde du boulevard Saint-Germain, est d’une famille modeste. E. Carassus résume ainsi ce désir de qualification à tout prix: «La peau de chagrin l’emporte sur les peaux d’âne et sur les parchemins plantés d’arbres généalogiques.» Les dandys ne sont ni des aristocrates – alors que politiquement leur mépris du peuple les rend conservateurs – ni des bourgeois ayant comme pratique et comme éthique de vie de prospérer et de s’enrichir. Cette situation sociale marquée par l’acceptation des rites d’un groupe auquel on veut s’agréger et par le refus de la morale bourgeoise du milieu du XIXe siècle est propice au jeu que le dandy pratique avec les valeurs et les normes sociales. Il veut «bouleverser la hiérarchie des mérites» (Jules Lemaitre) sans remettre en cause la société qui produit ces valeurs. Le comportement du dandy paraît régi par le renversement acceptable des codes de la mondanité et par une inflation de l’échelle des valeurs. L’importance démesurée du presque-rien s’impose à autrui comme type de jugement des rapports de la sociabilité mondaine. Ces jeux constants avec les règles de la bienséance et de la mondanité sont des manifestations ostentatoires de l’apparat et du cérémonial.

La toilette, la parole, l’ameublement, l’indifférence vis-à-vis d’autrui, le mépris de la carrière et de l’argent sont des manières de se différencier; ce sont des attitudes valorisées à l’extrême. La toilette met en valeur; elle est un art de la propreté et un art de la mise; elle est le privilège de l’homme oisif, de celui qui, dans son emploi du temps journalier, peut consacrer trois heures au choix de sa cravate, de ses gilets, de ses gants. La construction comme œuvre d’art du corps masqué et sa mise en valeur sont les activités les plus importantes d’une vie sous le regard d’autrui. Barbey d’Aurevilly, dans ses Mémoranda , écrit: «Choisi des gilets, importantes choses [...] levé à huit heures. Essayé un pantalon et commandé une redingote, affaires graves, choses presque religieuses [...]. Fait coiffer. Habillé. Mis un temps à tout cela qu’une femme aurait trouvé long.» La parure peut être excentrique, bizarre, telle celle des muscadins, ces échevelés et abracadabrants qui se parfumaient au musc sous la monarchie de Juillet et qui, par tant de dérèglements vestimentaires, s’efforçaient de ne point «porter la casaque uniforme du monde nouveau» (Chateaubriand). La toilette, c’est aussi le choix méticuleux de celui qui indique par la seule cravate – pièce du costume la plus proche du rien – tout ce qui le sépare de ces condamnés à vivre uniformément. Le gris d’une cravate, la lenteur d’une démarche, l’habit noir de coupe inhabituelle que Baudelaire avait lui-même dessiné, les gants roses, les bottes vernies sont des indicateurs de la dissemblance absolue signifiée par une différence infinitésimale du comportement. La toilette n’est donc pas seulement le fait de s’habiller mais la manifestation et l’expression d’une théorie psychologique de la présentation. Le dandy compose son personnage puisqu’il pratique l’analogie et l’amalgame grâce à ses variations vestimentaires. Sur l’image figée du semper paratus s’imprime celle du jeu avec l’élégance, de l’enchantement par le décalage et la transposition. Le vêtement, apparence de la profondeur, richesse du pauvre, recrée une face qui est une façade: «Rêver de mourir insolvable et à la mode», telle pourrait être la devise du dandy.

La toilette fait partie d’un ensemble formant système. À l’inattendu des vêtements s’ajoutent l’impassibilité du visage et la volonté de se montrer indifférent en toutes circontances. Cette insensibilité extériorisée, cette «hautaine résignation», cette composition du visage, cette affectation de froideur liquident toute spontanéité et marquent la distance, comme le vêtement sous-entend la différence. Villiers de L’Isle-Adam, par exemple, dit du comte Maximilien de W...: «Abandonné par sa maîtresse qui le croit dépourvu de sensibilité, il ne semble aucunement affecté, écrit quelques vers, se lime les ongles puis, très posément, se suicide.» Les dandys «se séchaient du fond» pour reprendre un mot des Goncourt. Tout cet apparat frontalier a pour but de tracer un espace sacré, celui que seul le regard peut franchir, celui que seul le mythe peut construire. C’est une machine de mise à distance d’autrui, lequel dans cette relation est à la fois relégué et fasciné. La mise en scène du visage et de la toilette sont autant de constructions du déroutement de la communication. Elles font du dandy un hiéroglyphe vivant qu’il est nécessaire de contempler sans pour autant en déchiffrer le sens. L’ameublement – de la caverne d’Ali Baba, éclairée de vagues lampadaires, de Montesquiou à la demeure «baroque et paradoxale» de Daniel Jovard dans les Jeunes-Frances de Théophile Gautier – fonctionne aussi comme un piège et comme un leurre; c’est une délimitation des territoires du rien que le dandy érige en frontière absolue. La théâtralité de la vie quotidienne passe par la construction du décor dans lequel et par lequel le dandy accepte et outrepasse les limites extérieures des convenances.

L’anecdote et l’œuvre

Une morphologie des comportements sociaux du dandy sert à préciser l’espace social et l’esthétique quotidienne où celui-ci évolue. Il vit sous le regard d’autrui, mais, puisque les «miroirs s’obscurcissent vite» (Camus), il lui est nécessaire de confectionner son style de vie comme une suite d’anecdotes élaborant une légende. En général, le dandy n’est pas un écrivain; sa notoriété, son excentricité, son indifférence doivent être acceptées dans l’étonnement, mais elles doivent surtout être connues, donc transmises. Le dandy ne pourrait vivre sans la pérennité de l’anecdote; l’éphémère de ses gestes et de ses conduites se fixe en récits journaliers qui bientôt deviennent, d’écho en écho, des exemples typiques, sinon idéals-typiques, du comportement dandy: Barbey d’Aurevilly, parmi tant d’autres exemples, relatait ainsi l’anecdote de la toilette du prince de Kaunitz: ce dernier, pour donner «à ses cheveux la nuance exacte , passait dans une enfilade de salons dont il avait calculé la grandeur et le nombre et ses valets armés de houppes le poudraient, seulement le temps qu’il passait! ». Le dandy vit de l’anecdote et de l’écho de cette anecdote, qui, amplifiée, magnifiée, et figée, devient œuvre d’art du quotidien. Le dandy, artiste de sa propre vie, est, comme le définissait Jules Lemaitre, «incapable de véritable création et prend une voie détournée pour assurer sa supériorité». Malitourne à ce propos écrit: «Ma paresse étant plus connue que mes ouvrages, je me flatte qu’elle est un titre que personne ne me contestera et une recommandation qui me met à l’abri de toutes concurrences.» Ainsi le comportement du dandy (répandre, dans la mer, au moment de son bain, le contenu d’un flacon d’eau de Cologne) produit l’anecdote qui fonctionne comme référence fantasmatique au pouvoir symbolique: celui de canoniser – magie? – l’anecdote en lui conférant une légitimité historique. La représentation du dandy par le rien de l’anecdote transmise et magnifiée est le meilleur moyen de divulguer, pour les admirateurs, les rites et les fables de la distinction.

Au XIXe siècle, en France surtout, cette pratique constante de l’enchantement par l’anecdote se double de théories «dandy» sur le dandysme. Barbey d’Aurevilly, Baudelaire, Balzac, d’une certaine manière, sont dandys et théoriciens du dandysme: pour eux, se comporter comme un dandy, c’est aussi écrire. Le dandysme n’est plus – comme l’écrivait Ernest Seillière – un «substitut du génie littéraire», mais fait partie intégrante de la République des lettres. Le récit de la théâtralité, la description des scénographies du dandy deviennent – surtout en France – des méditations esthétiques et philosophiques. L’écriture est alors un vêtement précieux; les encres, les papiers, les écritures contournées d’un Barbey télescopent, dans une même lecture, la présentation et le sens: la cohérence interne du texte ne peut être séparée de la beauté formelle, de l’arabesque de l’écriture, de l’excentricité de la présentation. Il faut refuser d’écrire sur un papier «de véritable épicier», il faut se faire éditer chez un «joaillier d’éditeur exquis»; il faut, comme l’écrit Janin, penser en soupir et demi-soupir dès qu’on cisèle la phrase par la ponctuation. L’écriture est alors un secteur de la toilette, au même titre que les fards et les cravates.

Plus tard, au début du XXe siècle, l’élégance du style, la tenue de la langue deviennent primordiales, chez Marcel Boulenger, chez Gilbert de Voisin, chez Paul Morand: il est aussi important de bien choisir ses mots que de bien choisir ses cannes. La frivolité du propos est escamotée par la perfection stylistique. On lit, par exemple, dans la revue dandy Le Recueil d’Ariane : «Ceci n’a aucune portée et vous chercherez en vain dans ces pages de l’information, de la critique transcendantale ou de la sociologie.» Et, pour Le Pavillon dans un parc , il faut tenir «à bâtons rompus des propos sans gravité, ce n’est qu’un pavillon dans un parc et rien de plus». La délicatesse, l’insignifiance, la douceur des petits riens s’écrivent en poèmes: René Chalupt publie trois poèmes pour l’heure du thé; l’élégance vestimentaire se double de l’élégance et de la distinction en littérature.

Vêtements, paroles, écritures, sociabilité du dandy forment ainsi un système de pouvoir symbolique et de représentation de soi-même et d’autrui. Pour le dandy, la tenue et l’écriture sont des créations. Or il est bien difficile, comme l’indique Roland Barthes, de marquer aujourd’hui la différence vestimentaire, puisqu’il n’y a plus de stabilité des codes vestimentaires. La tenue du dandy, en effet, n’a été possible que dans une période historiquement datée où le vêtement était uniforme dans son type et variable dans ses détails. «La mode a exterminé toute singularité pensée du vêtement en prenant tyranniquement en charge sa singularité institutionnelle, la mode a été chargée de subtiliser et de neutraliser le dandy.» L’excentricité, en effet, est une forme éminemment imitable et le passage de l’unique qui distingue au multiple qui rend anonyme détruit l’invention des variations adéquates au marquage de la différence. Les «animaux d’étoffe» que furent les dandys deviennent des animaux de plumes et de papier: le naufrage du dandy, l’impossibilité d’une toilette et d’un comportement méritant de laisser une trace par le biais de l’anecdote ne marquent peut-être que des déplacements du comportement dandy – avec les play-boys ou hippies –, s’exténuant à se différencier, sans jamais y arriver, de l’imitateur commun. L’uniformisation des costumes singuliers et des coutumes paradoxales, l’ouverture de l’éventail des comportements admissibles font disparaître les carnavalesques fantaisies, le jeu admis du renversement des valeurs et cette «distance sans rupture» dans laquelle et par laquelle le dandy était magnifié.

Le dandysme appartient à un certain stade de la démocratie, disait Paul Morand: celle d’une fraction de la jeune bourgeoisie vivant dans la nostalgie de l’aristocratie et refusant de s’astreindre à l’éthique et aux règles économiques de la bourgeoisie conquérante du XIXe siècle. À l’époque contemporaine, l’assimilation de toute excentricité par la normalité uniformise – comme variation insignifiante – toute tentative de différenciation. La quête incessante de la différence que le dandy poursuit est de plus en plus impossible, puisque toute différence est indifférente, puisqu’elle est acceptée comme allant de soi.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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